Spectacle vivant : « My Brazza », la danse qui sauve, présenté au lycée Stoessel.
Dans le cadre des parcours artistiques proposés par la Filature de Mulhouse aux collèges et lycées, le danseur chorégraphe congolais Florent Mahoukou a présenté son spectacle « My Brazza » dans une salle de classe du lycée Stoessel, prenant à témoin la vingtaine d’élèves présents, une proposition très autobiographique.
Par Frédérique MEICHLER – 04 févr. 2021 à 05:04
« Hello ! Welcome ! Welcome, c’est le premier truc que je me dis quand j’arrive quelque part, je me dis ça pour m’accueillir… » Presque à la place du professeur, devant une classe avec des tables encore bien alignées et des élèves un peu sur leur garde, Florent Mahoukou entame avec une phrase qui parle déjà de résilience une performance dansée et racontée d’une heure. Soixante minutes pour dérouler le fil fragile de sa vie, raconter avec des mots et son corps le parcours d’un gosse de Brazzaville jeté dans la violence du monde, rescapé d’un génocide qui visait ses semblables « parce qu’ils venaient du sud ».
Il y raconte la corruption, les policiers qu’on appelle là-bas « les bouffe-1000 » parce qu’on est facilement taxé de billets pour accéder à ses droits. Il décrit dans un tourbillon de mots son pays qui a tous les atouts en main pour offrir à ses citoyens une vie paisible mais « qui manque de l’essentiel : l’organisation ». Commence alors une métamorphose des lieux.
La grande histoire dans la petite
Le danseur-acteur invite des élèves à se lever, bouscule les chaises, déplace les tables, détourne tous les éléments matériels à sa disposition pour planter les décors de son existence, Poto-Poto, le quartier des artistes où il a vécu. Son corps se démène dans le cadre restreint de la salle, bondit sur une table, saute, tournoie, vient frôler les corps des spectateurs.
Florent Mahoukou multiplie les apartés, les échanges de regard, cherchant à ne pas laisser au bord du récit les élèves les plus distants. Une façon de leur dire : là, je te raconte ma vie, accueille-moi. Parce que ma vie, c’est aussi la tienne. C’est le parcours d’une jeunesse qui étouffe, cherche le chemin dans un monde oppressant. Une jeunesse qui déborde et qui cherche la lumière.
Dans l’histoire personnelle de My Brazza , il y a aussi la grande histoire, le corps du danseur-acteur devient continent, son flanc droit le Congo-Kinshasa et tout petit, juste à côté, au niveau de sa hanche, son Congo-Brazzaville, « et au-dessus de mes cheveux, la France… » On croise Savorgnan de Brazza qui a donné son nom à la petite capitale, « Pas le pire des colons paraît-il, on a fait de lui un humaniste », un épisode de la Seconde Guerre mondiale que tout le monde a oublié, Brazza devenue la capitale de la France libre où de Gaulle signe les premiers décrets organisant la France libre en lutte contre celle de Pétain.
« Vous n’avez pas de haine ? »
« Si j’étais né 20 ans plus tôt, je serais français… » poursuit Florent Mahoukou tout en assemblant les tables pour construire un refuge collectif, un lieu de confidences avec les jeunes spectateurs. C’est dans cette nouvelle proximité qu’il évoque la plus grande épreuve de sa vie, le jour où la mort a rôdé si près, où il a vu mourir des femmes et des enfants, abattus froidement par l’armée parce qu’ils n’appartenaient pas au bon camp. « À 16 ans, j’ai dû grandir d’un coup. J’ai couru et la danse m’a sauvé. Je me suis laissé prendre par les mouvements, jusqu’à maintenant. » La suite, ce sont des rencontres, des musiciens percussionnistes sur une plage de Pointe-Noire, un cousin Arthur rasta qui lui ouvre sa maison, un chorégraphe qui l’invite à danser en Europe.